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“Introduire plus de vieillissement dans nos forêts, c’est très positif et encore plus dans des forêts très jeunes.”

Le 17 septembre dernier nous avons repris le chemin du bois école : une journée chez nos voisins de la Haute-Garonne pour visiter deux forêts à l’histoire et au peuplement distincts. Comment laisser vieillir et accepter la mortalité dans nos bois ? Avec quels avantages et quels risques ? Notre guide, Aurélien Colas, technicien forestier au CRPF d’Occitanie, revient sur cette journée en forêt.

Quel était l’objectif  de cette journée ? 

Je donne des éléments historiques et techniques et l’idée c’est de réfléchir et d’échanger, de permettre à chaque personne de construire sa réflexion pour répondre à la question de la journée. Comment améliorer la captation de carbone, pour améliorer la biodiversité qu’est ce que je fais ? 

Cette question-là du carbone, est-ce que tu dirais que c’est une question qui est émergente dans ton travail ?  Dans les préoccupations des gens avec qui tu t’entretiens au quotidien ? 

Elle est déjà là dans la politique forestière, dans les sujets de discussion entre professionnels, avec des élus, avec des partenaires, etc. Par contre ce n’est pas encore un sujet pour les propriétaires de forêts. Hormis  le public Sylvestre, qui est déjà assez averti et déjà franchement sensibilisé à ces questions, la majorité des propriétaires qu’on touche habituellement sont sensibilisés évidemment à cette question du carbone mais pas sur le plan forestier. Ils n’ ont pas toujours conscience qu’ils peuvent avoir un rôle à jouer avec leur forêt. Ce n’est pas un objectif affirmé dans leur projet de gestion forestière. On les sensibilise à cette question.

Selon toi, qu’est ce que les participants recherchent dans ce bois école organisé par Sylvestre ? 

Les gens ont besoin de comprendre d’abord. Avec Sylvestre, il y a des personnes d’horizons variés, pas forcément experts et ils ont besoin de comprendre comment marche la filière forêt-bois, comment on jongle avec tous les enjeux en forêt. Il n’y a pas que le carbone, et de fait on a abordé beaucoup d’autres sujets : la biodiversité, la  production de bois, sous plein de formes différentes… Ce qui compte c’est de pouvoir ainsi rentrer dans la complexité avec une approche globale de la forêt.

Quel moment tu retiens de cette journée toi Aurélien ? 

Sur la deuxième forêt qu’on a visitée l’après-midi, j’ai présenté l’historique et une expérimentation sylvicole qu’on a menée dans une futaie adulte à gros bois, très régularisée destinée à améliorer le renouvellement par des trouées très localisées. Or ces essais n’ont pas marché. Donc, ça pose beaucoup de questions.  Et c’est ce qu’on a fait !  On s’est demandé pourquoi on a fait ça, qu’est-ce qu’on pouvait faire pour améliorer l’essai. Autant le public expérimenté que les non-avertis, tout le monde s’est pris au jeu alors que ce n’était pas du tout le sujet-cœur de la journée. Et c’était intéressant !

Est ce que certains sujets ont fait débat ? 

Oui ! Pour en citer un, sur la première forêt, ancienne, avec du gros bois mais avec des introductions d’essences exotiques, et notamment du chêne rouge. Je leur ai montré un très très gros bois de chêne rouge, et j’en ai profité pour mettre en avant un article publié en début d’année sur les coléoptères saproxyliques qui ont été inventoriés sur une forêt de chênes rouges dans le pays basque. Cet article explique que de nombreuses espèces assez rares et patrimoniales ont été retrouvées sur une essence exotique qui est du même genre qu’un chêne pédonculé de nos essences locales, ce qui peut surprendre. Cette essence de chêne rouge est critiquée sur d’autres aspects car elle a un caractère invasif, mais finalement, cela amène à nuancer : ce qui peut être intéressant pour la biodiversité, c’est souvent les gros bois, les très très gros bois, les bois un peu matraqués, les bois qui ont des dendro micro-habitats, des places de bois sans écorce, des concavités racinaires, des trous de pic, etc. Or vouloir supprimer le chêne rouge à tout prix, quitte à enlever des très très gros bois, ça peut être une erreur, parce que ces bois-là, ils peuvent justement, de manière alternative, quand on manque de gros bois de chênes pédonculées, de chênes sessiles, les chênes indigènes, ça peut être des habitats alternatifs, au moins pendant une période et donc c’est pas à négliger. C’est pas parce que c’est exotique que c’est faire forcément tout mauvais. C’est un bon exemple, je trouve.

Je pensais que j’allais susciter la controverse sur ce sujet  et non, les gens ont été tout à fait réceptifs à ce discours.

Pour terminer, la thématique de ce bois école c’était “laisser vieillir ou pas” : st-ce qu’il y a une règle ou un conseil que toi, tu as envie de partager ?

Effectivement, laisser vieillir, je pense qu’on arrive facilement à convaincre les gens qu’aujourd’hui, ça a un impact extrêmement positif sur la biodiversité, mais aussi sur le carbone. Mais ce qui va pas toujours de soi, et pourtant, moi, j’y crois, c’est que laisser vieillir, ça peut avoir aussi du sens pour la production de bois, pour s’orienter vers des productions plus qualitatives, vers de la production de gros bois et pour avoir des écosystèmes plus fonctionnels. c’est-à-dire avoir un écosystème forestier en meilleure santé qui va être plus résilient par rapport à toutes les incertitudes qu’on a aujourd’hui, par rapport aux évolutions sur les aléas, que ce soit climatiques ou sanitaires. On s’aperçoit qu’effectivement  les forêts avec une certaine ancienneté, elles ont un système immunitaire plus performant, quoi. donc… Donc globalement,introduire plus de vieillissement dans nos forêts, c’est très positif et surtout dans un contexte où la plupart des forêts sont très jeunes.

Photos : Jean-guillaume Bordes 

Rédaction et interview : Cécile Varin

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