[RESSOURCES] Des pistes pour rétablir l’équilibre sylvo-cynégétique ? 🦌

Cet article est le compte rendu d’une étude scientifique consacrée à la gestion forestière du domaine du Bois-Landry. Réalisée par Théo Le Marchand et ses collaborateurs et publiée en 2024 dans la Revue forestière française, cette recherche met en lumière les experimentations mises en œuvre pour restaurer et maintenir la santé de cette forêt privée. En s’appuyant sur plus de vingt années d’observations et de tests, l’étude retrace les étapes qui ont permis de rétablir l’équilibre sylvo-cynégétique, de développer une gestion multifonctionnelle écologiquement et économiquement viable, et d’intégrer plus récemment la sylviculture mélangée à couvert continu.

Le domaine du Bois-Landry, vaste forêt privée d’environ 1 200 hectares située à Champrond-en-Gâtine, en Eure-et-Loir, est principalement constitué de chênaies. Ce site s’est distingué par la mise en œuvre de méthodes innovantes de gestion durable et de préservation de la santé forestière.

Un déséquilibre forêt-gibier au tournant des années 2000

 
Au début des années 2000, le Bois-Landry faisait face à une absence de régénération naturelle du chêne. Pourtant, la consommation de glands et de jeunes pousses par les chevreuils demeurait limitée, lorsqu’une autre ressource alimentaire leur était accessible. À cette époque, la chasse prélevait surtout des chevreuils juvéniles au poids insuffisant. La population était gérée pour maintenir une forte abondance, mais son effectif réel restait difficile à estimer. Afin d’évaluer l’état des populations et leur impact sur la forêt, trois types de relevés ont été progressivement instaurés.

La mise en place d’une gestion cynégétique adaptative

En collaboration avec la recherche scientifique, le Bois-Landry a adopté une gestion cynégétique adaptative, fondée sur le suivi d’Indicateurs de Changement Écologique (ICE). L’objectif est d’évaluer l’état de la relation entre les ongulés et leur milieu, plutôt que de tenter de compter directement les animaux.

Les principaux ICE utilisés sont :

• La condition corporelle des chevreuils : poids des juvéniles abattus (corrigé statistiquement) et nombre de corps jaunes observés chez les femelles adultes. Ces paramètres se sont stabilisés depuis 2007-2008.

• L’indice kilométrique d’abondance (IKA) : nombre de chevreuils observés par kilomètre sur des parcours identiques effectués à pied en mars. L’abondance est globalement stable depuis 2009-2010, bien qu’une légère hausse récente ait conduit à revoir à la hausse le plan de chasse.

• Les relevés de consommation de la végétation ligneuse : réalisés chaque année en mars sur des placettes permanentes. Globalement stables depuis 2010, ils témoignent toutefois d’une reprise de consommation des jeunes chênes depuis 2017.

Le plan de chasse est ajusté annuellement en fonction de ces indicateurs. Les prélèvements, aujourd’hui fixés autour de 110 chevreuils par an, permettent de maintenir un équilibre entre état corporel, densité animale et régénération forestière. Parallèlement, les pratiques ont évolué : la chasse en traque-affût a remplacé les 24 journées de chasse traditionnelles par seulement 6 journées, alliant efficacité et sécurité.

En moins de dix ans, l’équilibre sylvo-cynégétique a été restauré. Dès 2011, la régénération naturelle sans protection grillagée est redevenue possible, tandis qu’une augmentation générale de la végétation ligneuse a été observée. En 2007, le Bois-Landry a obtenu le statut de Territoire expérimental de chasse et de recherche.

Une gestion multifonctionnelle du domaine

À partir de 2007, la gestion forestière du Bois-Landry s’est élargie à une approche multifonctionnelle intégrant divers services écosystémiques :

• Production de bois : activité principale, complétée par le débitage et la vente de bois de chauffage.

• Stockage du carbone : conservation des arbres jusqu’à 70 cm de diamètre et régénération active, favorisant la séquestration du carbone.

• Accueil du public : hébergements insolites (cabanes dans les arbres) et parcours pédagogiques sur la vie forestière.

• Biodiversité : îlots de sénescence, arbres-habitats, mares forestières, haies bocagères, dans le cadre d’un site classé Natura 2000 depuis 2006.

• Apiculture : ruchers contribuant à la pollinisation et à la diversification des revenus.

• Enseignement et expérimentation : formations professionnelles et accueil de chercheurs.

Une étude économique conduite en 2021 a montré que cette gestion multifonctionnelle est plus rentable qu’une gestion conventionnelle, en intégrant revenus directs (bois, chasse, tourisme, apiculture) et bénéfices indirects (services écosystémiques valorisés par des méthodes d’évaluation économique).

L’intégration de la Sylviculture Mélangée à Couvert Continu (SMCC)

Depuis 2019, le Bois-Landry applique la SMCC, une méthode excluant les coupes rases, favorisant la diversité des essences et maintenant un couvert continu. Cette sylviculture accroît la résilience face au changement climatique, en réduisant les risques liés aux tempêtes, sécheresses, maladies et dégâts d’herbivores.

Le prélèvement, limité à 15-20 % du volume sur pied, favorise la succession des sujets les plus vigoureux. Un réseau de 234 placettes permanentes assure un suivi décennal des paramètres dendrométriques (croissance, bois mort, régénération).

Bilan de la gestion du Bois-Landry

Le Bois-Landry illustre comment une forêt privée, sans particularité exceptionnelle, a su concilier production, biodiversité, chasse et accueil du public. L’expérience repose sur une observation continue, des ajustements progressifs et un usage raisonné des indicateurs.

Cette démarche ébauche  des pistes pour montrer qu’une gestion adaptative, pragmatique et ouverte à la recherche permet de répondre à certains des enjeux actuels de la forêt française. Au-delà du cas du Bois-Landry, d’autres territoires peuvent s’inspirer de ce modèle pour obtenir des résultats similaires.

Pour retrouver cette étude, voici les deux articles d’origines que vous pouvez consulter et télécharger  ⤵️

Bilan Bois Landry Le Marchand et al 2024 Rev for fr

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